Palette Olfactive

Palette-olf-déf2-augmDepuis plusieurs décennies, le monde de la parfumerie (les créateurs comme les amateurs de parfums), a classé les odeurs en « familles olfactives » afin de s’y retrouver. Démarche quasi naturelle, obligée, à qui doit appréhender des milliers d’élements quels qu’ils soient ; littérature, musique, images, fragrances : il faut classer.

Dans la parfumerie, il est commun de trouver ce classement sous forme de pyramide olfactive, avec les notes de têtes, les plus volatiles, au sommet (comme les citrus), les notes de coeur au centre (les fleurs, classiquement), et les notes de fond comme base de la pyramide – celles qui assurent l’assise et la persistance du parfum. On compte en général de dix à quinze « étages » à cette pyramide, selon le degré de nuance qu’on veut apporter.

Pour ma part je trouve que cette classification, pour le moins classique et reposant sur des considérations certes éprouvées, souffre de présenter les matières selon un ordre hiérarchique un peu inflexible. Alors que dans la parfumerie moderne, on peut trouver, par exemple – et grâce aux performances de nouvelles molécules de synthèse –, un bois, un musc en… note de tête ! On peut trouver de la même façon des notes citrus (habituellement très volatiles) quasiment en note de coeur/fond (la Cologne de Mugler, p.ex), et ainsi de suite. La fameuse pyramide, sans être sens dessus-dessous, semble avoir donc gagné en souplesse ces dernières années. Elle est moins rigide et c’est tant mieux.

D’où ma proposition graphique : classer ces « notes » (ou accords de base) en un cercle et selon 4 quartiers « éléments » et symboliques, à raison de cinq notes par quartier ; donc en tout 20 notes. Les quatre accords centraux étant des « classiques » de la parfumerie, incontournables, j’y reviendrai en fin d’article. Cette classification me semble plus exhaustive et plus précise, nuancée, que celles que j’ai pu croiser sur le web au cours de mes quelques investigations.

Bien entendu, l’aspect graphique de ce concept à 20 notes peut être adapté au goût de chacun, autant qu’à la cible. J’ai choisi pour le moment un rendu un brin « ludique » et « matière », disons « hand made », où les couleurs des notes odorantes sont en adéquation avec mon ressenti (j’observe d’ailleurs qu’en occident cette synesthésie couleur-odeur est partagée de façon assez constante).

Vous pouvez vous en servir, en respectant s’il vous plaît le protocole Creative Commons, le cas échéant. Merci.

Voyons cela de plus près :

Quatre quartiers donc : AIR, TERRE, FEU et… MÈRE(!)

A) AIR
Ce sont les notes légères – aériennes – et fraîches, relativement volatiles (qui correspondent au sommet de la pyramide, si l’on veut)

Minérale. (dite « aldéhydée ») ; elle provient de molécules de synthèse appelées « aldéhydes aliphatiques » (chaînes carbonées), qu’on trouve cependant à l’état naturel. La note minérale donne une sorte d’effervescence à la composition, de brillance légère et de diffusion. Elle scintille, comme cristalline, avec des facettes citrus, métalliques, « propres »… Souvent utilisée conjointement aux notes florales, comme dans le N°5 de Chanel.
Ex. matières : Aldéhyde C10, C11, C12, aldéhyde Myrac…

Aquatique. Note évoquant les embruns marins, la fraîcheur océane, ou plus simplement la présence d’eau. La matière principale (de synthèse) très en vogue dans les compositions des années 90, est la calone. Depuis, plusieurs molécules de synthèse sont venues s’y ajouter, ayant toutes des propriétés et des facettes différentes.
Ex. matières : calone, melonal, scentenal®, floralozone, absolu d’algue… (beaucoup de synthétiques dans cette note, comme on le voit)

Hespéridée. Il s’agit là des agrumes. Avec le limonène comme matière principale. Fraîcheur solaire garantie.
Ex. matières : citron, mandarine, orange, pamplemousse, yuzu, bergamote…

Verte. Note évoquant les feuillages, l’herbe coupée, le figuier, le lierre, la feuille de tomate… Très agréable en été.
Ex. matière : galbanum, feuille de violette, lentisque pistachier ; au niveau des synthétiques : cis-3 hexenol, triplal, corps jacinthe…

Aromatique. C’est, surtout, le maquis provençal. Où poussent les « herbes de Provence », évidemment. Se distingue de la note verte par un aspect caractéristique plus froid, suave, un peu camphré (méthyl-chavicol, méthyl-eugénol, menthol, camphène, etc.)
Ex. matières : thym, sariette, menthe(s), basilic, romarin… On peut ajouter la lavande.

B) TERRE
Comme son nom l’indique, quartier regroupant les notes et matières bien terrestres, ou « enracinées » ; y compris les baies séchées, issues de fruits murs.

Epice froid. Note intense, un peu grinçante, pointue, mais donnant beaucoup de caractère, de relief ; matières à utiliser avec la main légère…
Dans la continuité de la note aromatique, en plus « cosse », plus sèche.
Ex. matières : cardamome, poivre noir, baie rose, baie St Thomas, muscade…

Bois froid. Contrairement à une idée répandue, la note boisée n’est pas toujours chaude et douce. Elle peut être aciduléee, camphrée, térébenthinée.
Ex. Matières : bois de Siam, élemi, cyprès, Cèdre Atlas, sapin argenté (he)

TMR (Terre-Mousse-Racine). Note humus, terre mouillée, champignon – tout ce qui a un rapport avec le sol ou le pied des arbres, les écorces et autre lichen. Apporte de la profondeur et de la « Nature »…
Ex.matières : Patchouli, mousses d’arbres, patchouli, zédoaire, 2-ethyl fenchol, 1-octen 3-ol (champignon frais)

Animales. Utilisées en traces dans les compositions, ce sont les notes un peu « crasses » de la parfumerie, ou « délurées » diront certains. On y trouve des aspects sudation, excréments, mauvaise haleine et autres sécrétions fauves. Dit comme ça, cela semble inapproprié, hors sujet ; et pourtant dosées adroitement, les matières animales donnent un aspect vivant, vibrant, parfois transgressif, sans compter que l’indole (matière naturelle évoquant, concentrée, l’haleine fétide), entre dans la composition originelle de toutes les fleurs blanches type jasmin ou tubéreuse… Hé si.
Ex. Matières : absolus de civette, castoréum, hyracéum (« pierre d’Afrique ») ; indole, scatole, cumin (note transpiration), bourgeon de cassis (facette pouvant évoquer l’urine de chat)…

« Spéciales ». Notes hydrocarbure (plastique, vinyle, caoutchouc, kérosène) ou techniques, électroniques. Utilisées parfois dans des parfums conceptuels (Comme des Garçons). On apprécie ou pas.
Ex. matières : cyprès bleu, iris nitrile, éthyle acrylate, acétate de benzyle (concentré)…

C) FEU
La puissance du feu, la chaleur de la flamme, dans ce troisième quartier. Ce sont les notes intenses, marquées, entre le marteau et l’enclume, si l’on peut dire : on débute par les cuirs (note intense), pour finir plus en douceur, vers l’ambre et les notes orientales…

Cuir/Fumé. Note pouvant être douce ou âcre selon le dosage, la matière utilisée, et l’effet voulu… Rock n’roll ou raffiné…
Ex. matières : Ciste ladanifère, rhododendron, bois de cade, bois de gaïac, ambre fossile, Isobutyle quinoléine…

Bois chaud. Note douce, parfois résineuse, parfois lactée ou sèche. Abondamment utilisée.
Ex. matières. cèdre de Virginie, thuya, absolu de sapin baumier, absolu de pin des Landes, oud, santal blanc, Iso E super, Timberol®…

Champêtre. C’est une nouveauté, que je me permets d’inaugurer, en toute modestie 🙂 Il s’agit certes d’une note verte, mais une verdure qui aurait séché, comme… le foin. L’absolu de foin, matière rare, particulière, a une facette anisée ; elle est subtile et complexe, douce, elle évoque – merveilleusement – les fleurs séchées, le coeur des prés en août. Un vert un peu pâle, donc, comme cuit au soleil. La note champêtre est beaucoup plus persistante, moins « fraîche » dans une composition, que la note verte classique. D’où sa position dans le cercle, dans le chaud/doux.
Ex. matières : absolu de foin, absolu de son, camomille allemande, absolu de cassie, céleri, aldéhyde anisique (qui n’est pas un aldéhyde, en fait), cire d’abeille…

Epice chaud. Note qui apporte chaleur, force et intensité.
Ex. matières : cannelle, piment, clou de girofle, eugénol…

Ambrée. Utilisée pour les compositions de type « oriental », chaudes et douces. Parfois plus lourde avec un apport coumariné. La note ambre (à ne pas confondre avec l’ambre fossile) est un accord basé sur le ciste et la vanille. Beaucoup de matières (baumes ou résines) ont une facette ambrée ; elles donnent de l’arrondi et de la douceur.
Ex. matières : benjoin, fève tonka, immortelle, baume du Pérou, héliotropine (facette poudrée-coumarinée)

D) MÈRE
Le quartier de la douceur, du confort, de la sécurité et de la joie. Ce sont les notes rondes, agréables immédiatement, celles qui composent pour la plupart le « coeur » du parfum.

Confiserie. Après une « première » dans Angel de Mugler, revenue très en vogue ces dernières années dans les jus grand public, comme valeur refuge à la crise et à la grisaille, la note confiserie met en évidence la douceur, le sucre, l’optimisme (parfois de manière un peu trop évidente et sirupeuse, mais bon : les tests les approuvent, alors on y va gaiement). « La Vie est Belle » (Lancôme), la petite Robe Noire (Guerlain)
Ex. matières : absolu de cacao, café, vanille, éthyl-maltol (note sucre/barbe à papa, en asso avec des fruits rouges), méthyl cyclopentenolone (caramel)…

Poudrée. C’est la note boudoir, poudrier. Réminiscences de jadis. Peut vite faire « parfum de grand-mère » si l’accord n’est pas un brin modernisé. Donne en tout cas de la richesse, un velouté et un « grain » incomparable à la composition – souvent florale-orientale (Guerlain…)
Ex. matières : héliotropine, iris concrète, calamus ; dans une moindre mesure coumarine, fève tonka, mimosa…

Cocoon. Le duvet cotonneux et enveloppant, tout de douceur et de tendresse. Musquée ou/et lact(on)ée, très persistante, la note cocoon soutient la composition tout en l’enveloppant à partir du coeur d’un voile quasi nuptial. Rarement mise de côté dans les compositions féminines.
Ex. matières. Ambrettolide, Tonalide®, éthylène brassylate, delta undecalactone, (pseudo)aldéhyde C14, C16 (notes lactées-fruitées)…

Fruitée. Trois types de fruits peuvent donner la note fruitée (qui se trouve être issue de molécules de synthèse ou de rares isolats, les fruits ne donnant pas d’absolu (car trop aqueux)) : fruits du verger (pomme, poire, pêche, abricot, etc.) ; baies (framboise, cassis, mûre, sureau…) ; exotique (noix de coco, ananas, mangue…)
Ex. matières : fructone, frambinone, damascone beta, allyl amyle glycoate, …

Fleurie. Last but not least (et de loin). C’est même la note, la seule, sans laquelle la parfumerie ne serait pas tout à fait de la parfumerie. Les Fleurs.
Quatre groupes ici : les fleurs blanches (jasmin, muguet, tubéreuse, fleur d’oranger…), les fleurs roses (rose, géranium, pivoine, églantine…), les fleurs jaunes (jonquille, giroflée…) et les fleurs bleues (jacinthe, lilas, glycine…) ; toutes ayant des caractéristiques olfactives spécifiques (et donc des molécules odorantes qui les distinguent, quoique certaines leur soient communes).
Ex.matières. Elles sont nombreuses, évidemment ; les méthodes d’extractions permettant ici, contrairement aux fruits, d’obtenir absolues, concrètes, huiles essentielles (sauf pour des fleurs délicates comme le muguet ou la violette, qui sont des reconstitutions). Quelques matières de synthèse renforçant la note fleurie (ou pouvant la créer ex nihilo) : lyral, lilial, hédione, hydoxycitronellal, alpha ionone, etc…

On pourra observer que les deux quarts de gauche sont plutôt dans le DOUX/CHAUD, alors que les deux quarts de droite sont dans le FRAIS/NATUREL

Le centre du schéma est occupé par quatre accords classiques et incontournables de la parfumerie. Comme ce sont plus que des notes, ils sont un peu à part.

A) L’accord Fougère : vétiver/mousse de chêne/géranium/lavande/coumarine

B) L’accord Chypre : bergamote/mousse de chêne/labnanum/patchouli/(+une fleur, type rose ou jasmin)

C) L’accord Oriental : base patchouli/vanille, avec un épice chaud type cannelle…

D) L’accord Cologne : bergamote/citron/lavande/néroli/romarin, où l’on remarque une absence de notes de fond ; le but de la Cologne étant d’être frais et de se dissiper relativement vite.

Ces quatre accords, abondamment utilisés, étant modifiables, adaptables à l’infini.

(Si vous avez des remarques/suggestions/questions, n’hésitez pas, ce blog est fait pour ça.)


10 réflexions sur “Palette Olfactive

  1. Ben, j’ai rien à ajouter sinon Bravo!
    C’est une bonne vision globale et lisible que vous présentez-là.
    J’ai appris des choses et je vous en remercie 🙂
    On devrait présenter votre post dans les cours de l’isipca.
    A bientot.
    Alex

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  2. bonjour Nicolaï, je decouvre votre blog par hasard ce soir, et votre « roue des odeurs » que je trouve très interessante ! Je deteste moi aussi les pyramides… 🙂
    Jeanne

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    1. Oui, la pyramide à tendance à hiérarchiser, alors que la roue distribue. Il me semble que c’est préférable pour évaluer ensuite les rapports d’odeurs.
      À bientôt Jeanne et merci de votre visite !

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  3. J’aimerais utiliser votre palette olfactive dans l’un de mes articles. Pouvez vous me donner votre autorisation pour ce faire ? Merci d’avance. votre article est passionnant.

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    1. Faites, pas de souci. Indiquez juste l’origine. Je vais bientôt ajouter un article à mon blog, concernant justement la mise en application de cette palette (Profil Fragrances®). Merci de votre intérêt.

      Cordialement, Nicolaï Lo Russo.

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  4. bravo….et je viens certainement en grand retard….vu que les articles datent de 2014…je veins juste de commencer aà decouvrir le monde magnifique des parfums…d’abord je te felicite pour la qualite de l’article…ensuite je voudrais avoir des compositions simples et classiques de parfums que je pourrai moi meme realiser…pour homme et pour femme…genre telle HE en note de tete….telle HE en note de coeur….telle HE en note de fond…merci encore

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    1. Merci de ta visite, Ibou. J’aimerais bien pouvoir te répondre simplement mais la parfumerie n’est pas un domaine si simple qu’il en a l’air. Il ne s’agit pas vraiment de « recettes de cuisine ». C’est un peu comme si j’étais chirurgien et que tu me demandais : j’aimerais opérer mon genou moi-même, y aurait-il quelques instruments ou appareils que je pourrais utiliser pour l’opération ? A moins de te dire de grosses bêtises, je ne vois pas. En fait ce qu’il te faudrait, c’est un semblant de formation. Il y en a quelques unes sur ce site, mais c’est très insuffisant pour faire tout seul un parfum ou même quelque chose qui en serait éloigné. Toutes les matières de la parfumerie s’apprennent, se testent, on doit les sentir l’une après l’autre, les mémoriser, etc. C’est un long travail. Au bout d’un temps assez long, qui se mesure parfois en années, on peut commencer à se risquer à mélanger telle molécule à telle autre ; telle HE à telle autre, etc. faire des accords, etc. Je dispense par ailleurs une formation introductive à ces notions-là. C’est ici : https://enelair.net/atelier-prive-creation/
      Sinon, le web est plein d’informations, de forums, de sites intéressants, mais cela prend du temps. Mais quand on est passionné(e), du temps on en a, pas vrai ? 🙂

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